Parmi toutes les fêtes et festivals que la truculente cosmogonie indienne génère, la Holi (fête des couleurs annonçant le printemps et la fin des temps difficiles) est l’une des plus vivantes et joyeuses. Célébrée dans toute l’Inde, mais avec plus de force dans le nord, particulièrement au Rajasthan, la fête a lieu rituellement au mois de mars (la Holi 2007 aura lieu le 3 mars).

Les jours précédant la Holi sont marqués par une incroyable invasion des étals par les sachets de poudres multicolores, et pendant que les femmes sont très occupées à fabriquer chez elles ou dans la rue ces poudres à partir de fleurs, les enfants survoltés vendent et achètent frénétiquement des munitions pour le jour J, avec bien sûr quelques joyeux dérapages préliminaires. Personne ne leur échappera, tous seront colorés, parfois tendrement du bout des doigts sur une joue, le plus souvent sauvagement et dans un éclat de rire, d’un gros jet d’eau colorée en pleine face. Tout le monde participe à la Holi, et si les jeunes hommes et les enfants sont les plus déchaînés, vieillards et femmes ne sont pas en reste. Quant aux animaux peuplant cette ville, chiens, chats, chèvres et vaches, le rose leur va assez bien aussi.

La Holi est également l’occasion pour la population d’approcher son Maharaja en audience officielle et de s’adresser à lui en ce jour unique d’égal à égal, sans tabou, comme dans la tradition de nos carnavals européens. Les Maharajas, démocratie oblige, n’ont plus le pouvoir d’antan, mais ils gardent auprès de la population une aura et un respect considérables. Après s’être copieusement arrosés de pigments et d’eau colorée en un chassé-croisé frénétique et tonitruant dans les ruelles de la vieille ville, les habitants forment une délégation (d’hommes uniquement) qui converge en chantant vers le palais du Maharaja, qui les reçoit dans la salle d’audience. Ce jour-là, on peut tout lui dire, et les chants, menés par l’homme au bâton, repris en canon et à l’infini par toute l’assistance, sont autant de complaintes et de revendications présentées avec humour sous forme artistique. Le Maharaja, ému et silencieux, ponctue les couplets par des petits jets de sa poudre à lui, d’un rouge royal, sur les chanteurs. Cette séance a duré plus de deux heures, et s’est terminée par une féroce bataille d’eau et de couleurs au milieu des marbres finement sculptés du palais.  La magie avait opéré, Maharaja et citoyens mêlés comme des gosses qui ne cachent pas leur plaisir sous le soleil éclatant de Jaiselmer. Dans la vieille ville, la fête durera tard dans la nuit.

La ville entière restera colorée de longs mois, il faut dire qu’il se passe souvent plusieurs années entre deux pluies dans le désert du Thar.

Texte et photos : Jean-Marc Bernard / realis